Après quelques jours passés sur Sao Vicente, je me lève à 6h30, sans réveil, au son des voitures et aux premières lueurs à travers la fenêtre de ma petite chambre. On m'a dit la veille que le ferry de l'après midi était en réparation. Au Cap-Vert, il faut bien écouter les on-dit sous peine de déplacements douloureux. Les Cap-Verdiens en ont l'habitude, ici il faut anticiper des annulations, modifications d'horaires et plein de petits désagréments qui seraient insupportables, inadmissibles, etc. à tout européen tranquille.
Un rocher sinistre marque la sortie du port et l'arrivée sur le canal océanique qui sépare Sao Vicente de Sao Antao. Dans l'imaginaire des visiteurs, les Cap-Verdiens sont un peuple de marins. Sans doute, mais la réalité est beaucoup moins romantique, les trois-quarts du bateau sont malades, l'un entrainant l'autre, une drôle d'odeur, vient parfois frapper les visages livides : nous traversons un océan agité et le bateau balance. Une mamie créole au sourire crispé se rassure en me regardant, moi, touriste hilare, assis sur les bagages de tous pour ne pas qu'elles passent par dessus bord. Je discute avec un touriste espagnol, ingénieur civil retraité qui ne s'arrête plus de me raconter les environs de Bilbao... mais cela occupe, je sympathise ensuite avec un îlien de mon âge, Manuel, avec lequel nous débarquons, une heure plus tard et avec soulagement.
L'arrivée à Porto Novo, dans l'agitation coutumière du port à jetée unique, avec les travailleurs qui ordonnent déchargement, la foule confuse et ceux qui attendent pour le prochain départ du bateau me plait beaucoup. Une ambiance de travail pressé où l'on passe inaperçu. Quelques minutes pour embarquer sur un aluguer, 4x4 ou minibus collectif et peu cher, vers Riveira Grande, de l'autre côté de l'île. N'ayant aucun guide, ni carte, je découvre en sortant du port la petite ville côtière, le marché, la musique qui sort des mercaerias, les épiceries, quelques femmes aux seuil de leur boutiques. Quelques coups de klaxxon éloigneront les sympathiques petits vieux qui s'aventurent négligement sur la route et qui s'excusent d'un geste lent! La route suit les premiers reliefs, l'ambiance dans les aluguersest souvent joyeuse et chacun sourit à l'autre, dans la remorque du 4x4, entre un chargement de ciment et une dizaine de poules. En route, on embarque encore des écoliers, puis on les dépose plus loin. L'air se rafraichit, on arrive bientôt sur Cova, un cratère géant au fond duquel on cultive, la cuvette immense marque aussi le début de la verdure. La suite est un enchainement vertigineux de virages en altitude, en longeant des gouffres immenses, verts et ocres, des précipices, des sommets en aiguille... et là dessus, des paysans on construit sur des terrasses surplombant au moins 1000 mètres de vide, pour cultiver une trentaine de plants de maïs. Qui aurait eu l'idée, en voyant des reliefs pareils, d'y cultiver du manioc, des patates et du maïs... et bien il faut croire que quelque chose les y attache. Plus tard j'apprendrai que cette route a couté la vie à beaucoup de travailleurs, je veux bien le croire, mais les gens qui vivent le long et grâce à cette route ne manquent sûrement pas d'en vanter l'utilité.
Arrivé à Riveira Grande, jolie ville avant laquelle se dresse un sommet en pyramide, au coeur de la vallée. Les rues pavées et les façades colorées mènent à un tant attendu restaurant, où avec Manuel nous partageons un poulet copieux. Nous marchons ensuite jusqu'à la côte, en passant le petit marché, jusqu'à l'usine électrique qui fait un vacarme de tous les diables. J'attends plus loin quelques minutes jusqu'au passage d'un minibus collectif, et nous nous saluons avec Manuel, il retourne à son travail : commerce de vêtements, éléctroménager, cosmétiques etc. qu'il a fait venir de Sao Vicente.
On arrive à un village suspendu au coeur d'un cirque rocheux, je ne vois pas "la cima", les sommets, en fait, là encore, pourquoi un village ici! mais qu'est ce que c'est beau... je traverse le village, puis remonte vers les crêtes, en accompagnant une femme créole qui porte une partie des récoltes sur la tête. Le passage des crêtes dentelées emmène le marcheur sur Curv*, un village de quelques barraques au creux d'une vallée. Ici, on peut boire un coca chez un autre Manuel, un amateur de Reggae qui a compris que c'est ici que les randonneurs ont soif, et qui avec un grand sourire discutera avec les rares passants. Derrière sa petite buvette, sa famille prépare à manger sous une toile. Manuel est handicapé, séquelles d'une polio je pense, et sa famille voit d'un très bon oeuil la nouvelle activité du fils ambitieux, qui apprend aussi le français pour mieux communiquer avec les touristes. Je laisse Manuel et le petit village, pour continuer sur le chemin. Bientôt, on ne voit plus personne. Quelques bergeries abandonnées, le chemin serpente le long des falaises avec l'océan en bas, qui gronde contre les rochers. Un moment, je me demande même si je ne suis pas perdu, tellement l'absence de vie est flagrante, j'aperçois quelqu'un avec un enfant loin derrière moi, et continue, toujours incertain du chemin.
Finalement, j'aperçois devant moi en bas une grande plage, puis une autre un peu plus loin. L'occasion de manger une banane sous les rochers, alors que le jour décroit doucement. ___ |
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